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Chinon

Chinon, c’est d’abord une silhouette altière qui surgit au détour du fleuve, entre brume et lumière, comme un décor intact de roman de cape et d’épée — on pense à Rabelais, bien sûr, enfant du pays né vers 1494 tout près de là, mais aussi à Jeanne d’Arc, venue en 1429 au château rencontrer un dauphin encore hésitant face à son destin. Perchée sur la rive droite de la Vienne, cette cité de pierres blondes semble suspendue entre Moyen Âge et plaisirs terriens. En flânant dans ses ruelles étroites, on se prend à sourire devant les caveaux creusés dans le tuffeau, où repose un nectar sombre, souple et racé : ici, le Cabernet Franc règne en maître, parfois accompagné du Cabernet Sauvignon, sur des sols mêlant argiles, graviers ou calcaires en pente douce — ce découpage subtil, on le doit à la géologie tourangelle, patiemment ciselée par la Vienne et le temps. Les rouges issus de ces parcelles oscillent entre fruits noirs, violette et sous-bois, avec une fraîcheur mentholée qui déjoue les attendus. Les rosés, eux, dévoilent un éclat sec, à rebours du folklore sucré. Il faut dire qu’ici, la vigne a ses codes, mais les vignerons savent les détourner avec malice, comme si Rabelais leur soufflait encore à l’oreille : « Fay ce que vouldras ». En parcourant ces coteaux qu’affectionnerait un Gabin en goguette dans une comédie de Claude Sautet, le cœur se remplit — de vin, certes, mais aussi d’une certaine idée de l’amitié ligérienne, entre rires enveloppés de brume et promesses à peine chuchotées.